Depuis, les nouvelles dans les médias locaux et internationaux ne cessent de relever les attaques perpétrées par des groupes djihadistes ou encore de souligner les affrontements entre différentes milices communautaires. Parallèlement à cela, la lutte contre le terrorisme engagée par l’opération « Barkhane » semble s’enliser, bien que de nombreux leaders djihadistes aient été tués au cours des dernières années et que plusieurs opérations de ratissage aient amené à affaiblir a priori les groupes djihadistes. Les attaques réalisées par les groupes djihadistes ont été d’une rare létalité au cours de cette dernière année. 38 soldats tués et des dizaines de blessés lors de la double attaque de Boulkessy et Mondéro, dans le Centre du Mali, près de la frontière du Burkina, qui a été revendiquée par le Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin mais possiblement coordonnée avec l’EIGS .
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En 2019, le nombre de déplacés internes au Burkina a connu une croissance vertigineuse de 507 %, atteignant un demi-million à la mi-octobre, fragilisant d’autant plus des écosystèmes régionaux où les ressources sont rares . De manière concomitante, des tensions entre les ex-groupes rebelles du Nord du Mali et les autorités à Bamako sont encore présentes, malgré un accord de paix signé en 2015. Celles-ci sont notamment causées par le souhait d’élites politiques à Bamako de modifier des dispositions de l’accord.

Enjeux sécuritaire au Sahel ?

L’ensemble des forces internationales et nationales sur le terrain a nécessairement acculé et affaibli les groupes djihadistes. Les pertes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique au Sahel ont été conséquentes depuis l’intervention française en 2013. Ainsi, c’est dans une logique de survivance que le Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin est certainement créé en mars 2017. Le JNIM vise à unir sous une même bannière plusieurs groupes djihadistes pour affronter les forces de sécurité.

Ag-Ghali s’est progressivement radicalisé au cours des années 2000 et devenu djihadiste au cours du dernier conflit amorcé en 2012 . De nombreux différends avaient existé au sein du paysage djihadiste dans l’espace sahélo-saharien. AQMI, ex-groupe djihadiste algérien, dénommé Groupe salafiste pour la prédication et le combat , avait depuis son affiliation à Al-Qaïda souffert de nombreuses défections de ses membres. Al-Saharawi crée donc l’affiliée locale de l’EI, renommant son groupe « État islamique du Grand Sahara », tandis que Belmokhtar se rapproche de nouveau de ses anciens alliés d’AQMI .

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Quelques tensions sont répertoriées au commencement entre les deux leaders, mais très rapidement le choix est vraisemblablement fait d’éviter les confrontations armées entre les deux groupes. La montée en puissance de l’EIGS, qui a été capable de recruter parmi certaines fractions peules marginalisées dans la région frontalière du Mali et du Niger, a plausiblement plaidé en faveur d’un schéma d’entraides entre les deux groupes, sachant l’affaiblissement du JNIM suite aux opérations contreterroristes. Par ailleurs, certains militants ont pu migrer d’un groupe djihadiste à l’autre, en fonction d’opportunités, d’allégeance communautaire ou de trajectoire personnelle. Penser qu’il y a un schéma organisationnel, coopératif et stratégique développé entre les deux coalitions du JNIM et de l’EIGS nécessite par contre davantage de corroboration.

Militaires nigériens sur le pont Doutchi.



Parallèlement à cela, dans la région de Diffa, dans le Sud du Niger, de nombreuses attaques ont été réalisées contre les soldats nigériens. Les populations, dont de nombreux déplacés, acceptent souvent dans une logique de survie et de manière tacite le fait que Boko Haram devienne l’un des acteurs clés et s’intrique au tissu économique local .


Aller au-delà des conflits inter-ethniques

« Les Peuls se sont radicalisés et ont rejoint les groupes djihadistes depuis 2015 au centre du Mali ». Il est capital de comprendre les politiques locales et internes aux communautés et les rapports diversifiés, complexes et fluides entre elles dans les sous-localités pour analyser la violence politique et éviter de pareils essentialismes. Les Rimaibe du Nord du Burkina Faso, dans la province de Soum, ont par ailleurs été particulièrement sensibles aux prêches contre les élites traditionnelles faites par Malam Ibrahim Dicko, le fondateur d’Ansarul Islam . Ce groupe djihadiste actif depuis 2016 est affaibli depuis la mort supposée de Dicko.

Il demeure néanmoins une des principales menaces dans la région du Sahel du Burkina Faso et continue à commettre des attentats. Par ailleurs, en rejoignant ces groupes, il y a la possibilité pour ces franges peules de se protéger contre les extorsions des agents de l’État ou des forces de sécurité. Les milices dozos au centre du Mali et les milices communautaires mossi koglweogo au Burkina, soutenues plus ou moins secrètement par les décideurs dans les deux pays, ont réalisé de nombreuses attaques contre des villages peuls pour se venger de crimes perpétrés par les milices armées peules et les groupes djihadistes. Des exactions qui ne feront que renforcer la conviction pour certains jeunes Peuls que leurs seuls alliés sont les milices armées peules et certains groupes djihadistes, à l’instar d’Ansarul Islam au Burkina Faso ou de l’EIGS dans la région des trois frontières.

Enfin, soulignons aussi que des dynamiques intra-communautaires peuvent aussi être conflictuelles. Il est à notre avis préférable d’étudier les narrations des acteurs et de les faire dialoguer avec la contextualisation la plus précise des réalités locales, tout en restant humble dans nos analyses. Il apparaît plus prudent de mobiliser le mode de l’hypothétique lorsque l’on n’est pas certain des faits . Les chercheurs et analystes sont souvent exposés aux rumeurs circulant au Sahel, qui sont non vérifiées ou non vérifiables, du fait d’une accessibilité aux terrains devenue difficile compte tenu des risques sécuritaires pour l’enquêteur .


Enfin, la présence de forces de sécurité étrangères, plus spécifiquement françaises, entraîne les groupes djihadistes à mobiliser de manière opportuniste des discours anti-impérialistes. Ces récits résonnent avec les imaginaires locaux et peuvent parvenir à convaincre des jeunes Sahéliens de rejoindre le « djihad ». Si le fait de rejeter la faute sur les acteurs extérieurs s’inscrit dans une recherche d’explication de la violence et de survivance identitaire pour des populations fragilisées en zone rurale, ce même discours tenu par les élites politiques des États de la région est très inquiétant.


Auteur : Adib Bencherif


Chercheur au Sahel Research Group de l’Université de Floride. Auteur de nombreux articles scientifiques sur la violence politique dans l’espace sahélo-saharien, avec une focale sur les communautés touarègues, notamment dans les Cahiers d’études africainesPolitique africaine et la Revue canadienne des études africaines.