Le droit est-il en naufrage au Niger ?

Il n’est pas un domaine où on ose porter le regard sans que l’on ne constate la désinvolture avec laquelle le droit est traité. Et ce constat ne date pas d’aujourd’hui. D’autres ont fait le même constat et apparemment rien ne semble changer. Peut-être du fait du manque d’actions (actions judiciaires) des victimes ou tout simplement des citoyens devant les juridictions pour les rétablir dans leurs droits. 
Un commerce fermé par la ville de Niamey
Un commerce fermé par la ville de Niamey/Source : page Facebook de la ville de Niamey

Quant à l’institution « instituée » pour régler les difficultés des usagers avec les services publics, elle semble s’être trouvée une autre mission, tellement que (peut-être) sa mission originelle lui semble être hors de portée, ou en tout cas « inintéressante », si ce n’est non sollicitée : le Médiateur de la république.

De quoi s’agit-il, cette fois-ci ?


La ville de Niamey a commencé une vaste campagne de « fermetures pour insalubrité » des commerces le long des rues. Et elle s’est même fendue d’un reportage télé pour vanter son action. Soit. 
Mais la question est : ces actions de la ville sont-elles fondées en droit ? Assurément non. Elles sont mêmes totalement illégales.

Un point d'interrogation
Un point d'interrogation / CC-Peggy Marco / Source : pixabay.com 

En effet, le Code d’hygiène publique, institué par l’ordonnance n° 93-12 du 13 mars 1993 (JORN spécial n°  11 du 7 mai 1993, page 1), dispose en son article 9, s’agissant de l’hygiène sur les vois et places publiques (TITRE III, chapitre 1), que « les dépôts d’immondices, de détritus, de ferrailles, des épaves, des fûts usés, des décombres et gravats, d’ordures sont interdits sur les voies et places publiques ». L’article 81, du chapitre 5 (De l’hygiène des installations industrielles et commerciales)  dispose que « les locaux et alentours des établissements industriels ou commerciaux doivent être maintenus salubres. L’élimination  des déchets doit se faire selon la réglementation en vigueur et spécifique  à chaque industrie ».

Voilà pour les interdictions. Mais s’il y a interdictions, il faudrait bien qu’il y ait des sanctions en cas de non-respect de celles-ci. C’est ainsi que le Code a institué une Police sanitaire devant faire le contrôle et le constat (je précise bien « constat ») du non-respect des interdictions édictées par le Code.
C’est ainsi que le TITRE IV du Code est consacré à la police sanitaire. Ainsi, l’alinéa 1er de l’article 111 du Code, logé au Chapitre 1 sur « les pouvoirs des agents de la police sanitaire » dispose « qu’il est créé une police sanitaire dont les agents sont chargés, entre autres, de rechercher et de constater les infractions  à la législation de l'hygiène publique ». L’alinéa 2 dispose que « Sa structure, sa composition et son fonctionnement seront définis par décret » (Décret n° 99-433/PCRN/MSP du 1er novembre 1999).

On apprend donc à cet article 111 que les interdictions édictées par le Code sont des infractions pénales. Et, en tant que telles, elles font l’objet d’une procédure pénale. C’est ainsi que le code a prévu des dispositions s’agissant de l’enquête préliminaire les concernant. C’est le Chapitre 2 du TITRE IV sur la police sanitaire qui en est le siège. Ainsi, l’article 114 du Code dispose que « les infractions en matière d’hygiène publique sont constatées par procès-verbaux établis par les officiers de police judiciaire ou les agents chargés de l’hygiène publique »*. S’agissant des actions et poursuites, c’est le Chapitre suivant qui en règle la question (articles 118 à 129). Ainsi, l’infraction (interdiction) de l’article 9 est punie d’une peine d’amende 1500 à 15000 FCFA et la peine est portée au double en cas de récidive légale. C’est ce qui ce ressort de l’article 123.  Quant à l’interdiction de l’article 81, l’article 125 dispose que les peines encourues sont « l’amende de 50.000 à 500.000 FCFA ». Et « en cas de récidive légale, outre l’amende, la fermeture de 3 à 30 jours pourra être prononcée sur décision judiciaire ».

Que faut-il retenir de tout ceci ?


- Premièrement, que : la police sanitaire, qui relève du Ministère de la Santé publique (ainsi que le dispose le Décret n° 99-433/PCRN/MSP du 1er novembre 1999 fixant la structure, la composition et le fonctionnement de la police sanitaire, JORN n° 15 du 1er Août 2000, page 502), n’a aucun pouvoir de fermeture des établissements commerciaux tels que c’est pratiqué actuellement. Ni le code d’hygiène publique (article 111) ni le Décret (article 23 du décret) ne leur donne de telles attributions. Elle ne peut que constater les infractions (comme repréciser par l’article 16 de l’arrêté n° 41/PP/CUN du 1er novembre 1996, portant réglementation de l’évacuation des matières usées sur le territoire de la Communauté urbaine de Niamey, JORN n° 24 du 15 décembre 1996, P. 1256) et en dresser des Procès-verbaux. Qui seront transmis à l’autorité de poursuite. Au « pire des cas », l’article 113 du Code dispose que « le personnel de la police sanitaire peut, en cas de flagrant délit, conduire le délinquant devant l’autorité compétente », sans plus de précision sur qui est cette autorité compétente (autorité de poursuite ou autorité administrative).

- Deuxièmement, les fermetures des établissements commerciaux ne sont pas ordonnés par l’autorité administrative comme il semble être le cas actuellement, mais par l’autorité judiciaire. Autrement dit après une procédure judiciaire (article 125 du Code).

En conclusion, les fermetures décidées par l’autorité administrative sont totalement illégales et mettent l’administration de la Ville de Niamey en infraction elle-même, par rapport aux dispositions légales et réglementaires.
Une simple action des victimes devant les juridictions ferait tomber tout ce château de cartes.
On peut véritablement se poser la question de savoir si l’administration ignore elle-même ses propres textes ou si elle agit en connaissance de cause et faisant fi des textes de la République.
La question demeure et mérite d’être posée.
Rajoutons que, s’agissant des amendes prononcées, il est concédé une ristourne aux agents de la police sanitaire.
En effet, les amendes prononcées sont recouvrées sont bien entendues perçues. Il n’est pas dit comment se fait la perception (une autre faiblesse des textes) par contre la répartition du produit des amendes n’a pas échappé aussi bien au législateur qu’à l’autorité règlementaire.
Ainsi, dans le Code, il est disposé à l’article 130 que le produit des amendes est réparti comme suit :
- 50% au Trésor public ;
- 30% à la collectivité locale ;
- 20% au ministère de la santé publique.
Les articles 131 et 132 précisent l’utilisation des deux dernières tranches : ainsi les 30% revenant à la collectivité locale devront servir à financer les opérations liées à l’hygiène du milieu pour préserver la santé de la population et les 20% de Ministère de la santé publique devront servir à contribuer à la promotion de l’hygiène publique.
Le décret de 1999, sur la police sanitaire quant à lui dispose, en son article 26, que les 20% du Ministère de la santé publique sont répartis :
- 25% pour la promotion de l’hygiène publique
- 75% au profit du personnel de la police sanitaire.

Il est bien beau de promouvoir l’hygiène en milieu public et d’en faire la promotion. Personne ne dira le contraire, cependant, la constatation et la poursuite et la répression des infractions doit se faire dans le respect des règles établies en la matière. Et l’administration la première doit montrer le bon exemple du respect de la réglementation. De la même manière qu’elle met du zèle dans le respect de la réglementation par la population, elle devrait aussi en mettre pour elle-même dans le respect de cette même réglementation.  Or ce n’est pas le cas.

Les mêmes populations pourraient elles aussi la mettre devant ses obligations. Le Code a émis plusieurs obligations sur la charge de l’administration en charge de l’hygiène publique. Que ce soit sur les collectivités locales que sur le niveau central. On peut bien se demander pourquoi elle ne met pas de zèle à accomplir elle aussi les devoirs de sa charge, notamment l’article 8 de l’ordonnance sur l’obligation de « l’élimination régulière des ordures ménagères, excréta, eaux usées et autres déchets assimilés ».

Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à la FSJP/UAM